Dans le contexte littéraire particulièrement fécond des deux dernières décennies du XIXe siècle, caractérisé au niveau narratif par une forte poussée expérimentale qui devait faire suite à la crise du naturalisme, l’œuvre de Francis Poictevin repré sente un exemple significatif de renouveau du roman et d’intériorisation du malaise qui s’empare du siècle finissant. Ce disciple d’Edmond de Goncourt, esthète raffiné, esprit sensible ayant fait de sa vocation une quête existentielle, poussa à l’extrême les procédés de l’écriture artiste et les théories goncourtiennes de composition, et déboucha sur une prose toujours plus déstructurée, exsangue, frayant avec les formes d’écriture de la subjectivité, bientôt envahie par l’espace comme ultime attache avec le réel. L’objectif de donner une forme expressive à la sensation dans ses nuances les plus infimes, qui orienta la recherche littéraire de Francis Poictevin, se situe au centre d’une redéfinition de l’outil romanesque, en même temps qu’il assimile les nouvelles idées sur la perception et l’analyse du moi. Le roman Songes, introuvable comme la plupart des œuvres de cet ‘oublié’, méritait donc de figurer parmi les rééditions visant à récupérer les auteurs décadents français dont les innovations ont contribué de façon souvent latente, mais non moins incisive, à la constitution du roman du XXe siècle. L’édition de Songes, que Federica D’Ascenzo propose au public moderne, se compose d’une introduction qui met en évidence, à partir de la réception de l’œuvre par la critique de l’époque, le tournant décisif que ce roman marque dans la production de son auteur, aussi bien au niveau structurel que pour le caractère fortement novateur de la langue de Poictevin; en outre, elle fournit l’une des premières bibliographies de et sur l’auteur, alors que les annotations linguistiques, stylistiques et explicatives permettent une lecture éclairée du texte. Songes apparaît ainsi comme une ligne de partage sans laquelle les narrations évanescentes et déconstruites qui forment les œuvres suivantes de Francis Poictevin ne seraient pas compréhensibles. Considéré par les surréalistes comme un précurseur, pour son projet implicite d’anti-roman, pour l’importance qu’il accorda à la fantasmagorie de l’espace, pour le rôle qu’il attribua à la réalité subjective et pour les aspects modernes de sa langue, ce ‘panthéiste mystique’ participe de cette prose fin de siècle qui continue, encore aujourd’hui, à nous livrer ses fruits les plus singuliers.
Détails du livre
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Éditeur
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Texte original
Oui -
Langue
Français -
Langue d'origine
Français -
Date de publication
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Nombre de pages
147 -
Réviseur
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Collection
À propos de l'auteur
Francis Poictevin
Francis Poictevin est un écrivain français, né à Paris le 27 juin 1854, mort à Menton le 6 mai 1904. Dandy, esthète, auteur de romans qui amplifient les procédés de l’écriture artiste ; disciple d’Edmond de Goncourt, ami et confident de Joris-Karl Huysmans, il dériva peu à peu vers le mysticisme et la folie. Tombé dans l'oubli, il suscita plus tard la vive admiration de Louis Aragon, Paul Éluard et André Breton. Né dans un milieu aisé (son père, Paul Poictevin, est banquier), Francis Poictevin peut, après des études secondaires au lycée Louis-le-Grand et avoir fait son droit, se consacrer aux voyages (Allemagne, Angleterre, Italie) et à la littérature sans prendre d'état. Il rencontre en 1882 Jules Barbey d'Aurevilly, c'est le début d'une amitié et d'une correspondance qui durera cinq ans. Riche et excentrique, il sert de modèle à Joris-Karl Huysmans pour le personnage de Des Esseintes dans À rebours. Dédié à Edmond de Goncourt, dont il fréquente régulièrement le salon, son deuxième roman, Ludine, paraît en 1883. Guy de Maupassant lui consacre dans Le Figaro un article très favorable. Il est, par contre, éreinté par Léon Bloy dans le Chat Noir. En 1888, il collabore à la Revue indépendante de Félix Fénéon. À partir de 1895, il fait des voyages de plus en plus fréquents sur la Côte d'Azur pour sa santé. Il cesse d'écrire. Il se marie en 1896 avec Alice Devaux, sa maîtresse depuis une quinzaine d'années. Dès 1897, il sombre peu à peu dans la folie et le mutisme. Sa fascination pour les mystiques catholiques, proches de "l'anéantissement en Dieu" le mèneront à la quasi-aphasie. Seuls Rodenbach et Huysmans veilleront encore sur ses derniers ans. Ce fut au sens tragique du terme "un écrivain maudit". Francis Poictevin s'éteint à Menton le 6 mai 1904. Son acte de décès indique: «profession de rentier».